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22 février 2013 5 22 /02 /février /2013 18:32

Ceux qui fréquentaient déjà ce blog au moment de la primaire socialiste connaissent ma proximité idéologique avec Arnaud Montebourg. Aussi, je ne peux que me réjouir de la joute verbale menée actuellement par le ministre du redressement productif contre le PDG du groupe Titan International.

 

Petit rappel des faits pour ceux qui auraient manqué un épisode.

Après plusieurs années de difficultés, Goodyear a annoncé fin janvier que l'usine d'Amiens-Nord serait fermée à court terme, laissant sur le carreau plus de 1000 salariés. Cette annonce a évidemment contraint le gouvernement à agir et Arnaud Montebourg a appelé le groupe Titan à revenir à la table des négociations malgré un précédent échec. Rien d'exceptionnel jusque là.

C'est en réalité la réponse de Maurice Taylor, PDG du groupe Titan, au ministre qui a mis le feu aux poudres. En effet, celui-ci n'a pas hésité, dans son courrier du 8 février, à fustiger ouvertement les ouvriers français (Les salariés français touchent des salaires élevés mais ne travaillent que trois heures. Ils ont une heure pour leurs pauses et leur déjeuner, discutent pendant trois heures et travaillent trois heures) et la CGT (syndicat fou). Pire que son arrogance, classique des républicains américains, Taylor a fait preuve d'un cynisme démesuré : " Titan va acheter un fabricant de pneus chinois ou indien, payer moins de 1 euro l'heure de salaire et exporter tous les pneus dont la France a besoin".

Heureusement, et je l'en félicite, Arnaud Montebourg ne s'est pas dégonflé face à ce sinistre individu et l'a gratifié d'une réponse à la hauteur du courrier initial : "vos propos aussi extrémistes qu'insultants témoignent d'une ignorance parfaite de ce qu'est notre pays. Les compagnies [étrangères présentent dans notre pays connaissent et apprécient la qualité et la productivité de la main-d'œuvre française, l'engagement, le savoir-faire, le talent et les compétences des travailleurs français.".Mieux, Montebourg s'est laissé aller à quelques piques renvoyant clairement Taylor dans ses 22 : "Titan, l'entreprise que vous dirigez est vingt fois plus petite que Michelin, notre leader technologique français à rayonnement international, et trente-cinq fois moins rentable. Soyez assuré de pouvoir compter sur moi pour faire surveiller [...] avec un zèle redoublé vos pneus d'importation."

 

Au-delà de l'aspect "divertissant" qui enchante les médias, cette affaire me semble tout à fait révélatrice du système économique dans lequel notre pays évolue. En effet, c'est aujourd'hui Maurice Taylor qui est à l'origine de ces propos abjects mais bien d'autres patrons de grands groupes, français ou étrangers, auraient pu tenir le même discours. Et c'est bien là tout le problème de notre économie qui se trouve coupée en deux entre la base (ouvriers, employés …) qui permet la création de richesse et la coalition actionnaires-"top management" qui œuvrent à la défense de leurs intérêts propres en s'appropriant une partie toujours plus grande des richesses créées (dividendes, bonus …). Il est bien loin le temps de l'entreprise familiale gérée en bon père de famille et du patron paternaliste. Tout cela a laissé place à un capitalisme débridé et libéralisé à outrance.

 

Alors certains diront, Alain Minc le premier, que la mondialisation est une chance pour notre pays et que c'est à la France de s'adapter aux nouvelles contraintes économiques. Je m'inscris bien évidemment en faux contre ces propos. Comment peut-on encore aujourd'hui prononcer de telles inepties, sauf à être aveuglé par le dogmatisme ? Il n'y a qu'à voir les conséquences désastreuses de cette mondialisation (et de son cheval de Troie, l'union européenne) sur notre industrie. Allez donc demander à ces dizaines de milliers d'ouvriers licenciés pour cause de délocalisation ce qu'ils pensent de la "mondialisation heureuse" …

Dire que la mondialisation n'a que des inconvénients serait faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. De fait, ce phénomène a permis, au moins en partie, d'avoir accès à de nouveaux marchés donc de nouveaux débouchés pour nos entreprises. Sans parler du développement exceptionnel de certains pays émergents.

 

Mais tout cela a bien évidemment un prix. Un prix parfois lourd à payer pour ceux qui en sont les victimes. Cela ne semble toutefois pas déranger notre cher Maurice Taylor. Bien au contraire, puisque celui-ci n'a aucun scrupule à exploiter la misère humaine en "achetant un fabricant de pneus chinois ou indien pour payer moins de 1 euro l'heure de salaire".

Car s'il est une caractéristique indéniable de la mondialisation, c'est bien cette mise en concurrence forcée des peuples du monde entier. C'est d'ailleurs par ce moyen, en recourant massivement aux délocalisations vers des pays à faible coût de main d'œuvre, qu'un grand nombre d'individus se sont enrichis. Je parlais dans un précédent article de l'esclavage. Et bien cette exploitation d'ouvriers chinois contraints de travailler durant des heures dans des camps de travail dans des conditions intolérables, le tout pour des clopinettes, n'est ni plus ni moins qu'une forme d'esclavage moderne (exemple de Foxconn, sous-traitant d'Apple).

 

Dans ce processus de course au moins disant fiscal, social et environnemental, la France est logiquement la grande perdante. De fait, et comme le dit très bien Taylor, "les Français sont trop chers à cause notamment de leurs avantages sociaux". Il est donc impossible de s'aligner sur la Chine ou l'Inde par exemple, sauf à remettre complètement en question notre modèle social, ce que certains libéraux rêvent de faire depuis des décennies. Mais outre le fait que cela n'est pas souhaitable, cela sera clairement vain dans la mesure où certains pays sans aucune réglementation sociale arriveront toujours à produire pour moins cher.

 

Mais plutôt que de niveler par le bas, pourquoi ne pas adopter le raisonnement inverse en cherchant à pousser les moins bons pour rattraper les meilleurs ? La réponse est simple : le profit. Car si les pays émergents se dotaient de réglementations plus contraignantes, il est certain que les conditions de vie et de travail des ouvriers s'amélioreraient, parallèlement à un accroissement des coûts de production donc une dégradation des bénéfices. Et ça les patrons n'en veulent pas. Pour eux seul l'argent compte comme le résume une fois encore à la perfection l'incroyable Maurice Taylor : "nous sommes ceux qui avons le carnet de chèques et vous nous dites que nous devons d'abord rencontrer les syndicats ? Vous êtes dingues".

 

Puisque le seul langage parlé par ces personnes est celui du dollar alors c'est au porte-monnaie qu'il faut taper pour se faire entendre. Et plus particulièrement par la fiscalité qui constitue l'arme de prédilection de l'Etat pour ce genre de besognes. Plusieurs mécanismes sont évidemment envisageables et doivent faire partie d'une réforme fiscale d'ampleur, notamment en ce qui concerne la taxation des revenus.

 

Mais plus largement c'est notre modèle économique et commercial qu'il faut repenser. Comme nous l'avons dit, la France mais également les autres nations européennes voire même occidentales ne peuvent plus faire face à la concurrence déloyale des pays émergents. De même, chercher à rivaliser serait à la fois vain et dangereux. Aussi, il me semble impératif de faire fi du dogmatisme libéral qui gangrène nos dirigeants pour en revenir à un réel interventionnisme d'Etat. Et par interventionnisme d'Etat je pense bien évidemment, dans le cas qui nous intéresse, au protectionnisme.

 

Longtemps honni officiellement par les organisations supranationales (OMC, FMI, UE), il n'en reste pas moins que de très nombreux pays du monde entier, pour ne pas dire la plupart d'entre eux, ont allègrement recours à des mesures protectionnistes de manière déguisée. Il ne s'agit plus de barrières douanières trop visibles mais plutôt d'un ensemble de mécanismes plus subtils et plus efficaces (sous-évaluation de la monnaie, appels d'offres biaisés, normes particulières …).

Or l'union européenne, sous prétexte de respecter une concurrence libre et non faussée (qui n'existe que dans les livres), se refuse à recourir à toute forme de protectionnisme malgré des déficits commerciaux abyssaux. Pire, invoquant la crise de 1929, les soi-disant experts économiques nous expliquent que la situation serait pire  du fait de mesures de rétorsion.

 

Une fois encore cela prouve que l'UE est gangrénée par un dogmatisme libéral qui ne tient en aucun cas compte des réalités (exemple des plans d'austérité à répétition qui aggravent les choses au lieu de les améliorer).

Si certains dirigeants politiques plaident pour un changement de cap, d'autres continuent à persister dans l'erreur. C'est notamment le cas de l'actuel et  du précédent gouvernement et plus largement d'une majorité des membres du PS et de l'UMP. Seuls perdurent quelques irréductibles qui cherchent à ouvrir les yeux à la population. Malheureusement pour nous, il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir …

 

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